Ésotérisme et occultisme fascinent et interrogent, éveillent la curiosité du profane, attirent l'intérêt de l'impétrant, façonnent l'imaginaire de l'initié. Ces thématiques ont depuis bien longtemps quitté les alcôves et les cabinets, les loges et les temples, pour se répandre sur les étagères des librairies, dans les émissions de télévision et sur les médias sociaux. Autrefois réservés aux seuls initiés, ésotérisme et occultisme touchent désormais de larges pans de la population, irriguant les domaines du développement personnel, de la santé alternative, du bien-être, de l'agriculture, du féminisme et de l'écologie. A ceci s'ajoute une forte présence de ces thématiques dans la littérature, la musique, le cinéma et les arts en général. De phénomènes sous-culturels, marginaux, de ruptures avec l'ordre établi, ésotérisme et occultisme se sont donc démocratisés, imprégnant toutes les classes sociales. A cela se joint le complotisme, qui affirme l'existence de sociétés secrètes, ésotériques et occultes, matrices d'un « État profond » manipulant pour son propre intérêt nos destinées communes ; complotisme dont le référentiel analytique s'inspire parfois grandement d'imaginaires justement issus de l'ésotérisme et de l'occultisme. Il s'agit alors, pour le complotiste, de lever le voile sur des vérités dissimulées par les puissants, aidés dans leur tâche par des scientifiques corrompus, des médecins aux ordres de « Big Pharma » aux historiens qui ne rédigeraient que la parole des vainqueurs. Parallèlement au discours officiel, à la « doxa », se construit donc une « réalité alternative » pouvant, dans ses cas les plus extrêmes, remettre en doute la rotondité de la Terre, la conquête spatiale ou la chronologie admise des faits historiques.
Disparates, ces sphères ésotéristes, occultistes et complotistes, faites de magie et de sociétés secrètes, de conspirations réelles ou de complots fantasmés, en se mêlant et démêlant au gré des circonstances, irradient le politique, proposent des cosmogonies, façonnent et nourrissent des opinions et des doctrines, des façons de faire. À diverses échelles, du charlatan au gourou, de l'éminence grise au médium, de l'auteur à succès à l'obscur essayiste, elles inspirent et distillent des perspectives idéologiques, produisent un imaginaire pouvant se muer en doctrine politique – ou inversement – et prennent ainsi part, sans que nous nous en rendions nécessairement compte, à nos vies ordinaires.
Au long cours, la vocation de Cosmos est donc d'offrir aux lecteurs un panorama complet des liens entre ésotérisme, occultisme, complotisme et politique. Sa démarche est documentaire et informative, historique, ethnographique et sociologique. Son intention est de montrer comment l'idéologie se lie au magico-religieux pour produire ou contribuer à des actions politiques, qu'elles soient groupusculaires ou étendues à l'échelle des États et de la géopolitique. Son projet est de montrer comment des imaginaires nourris de traditions, de magie, d’éther, de spectres, d'énergies, de forces et de conspirations servent de support à des projets de gouvernementalité. Cosmos n’a toutefois pas pour vocation de se prononcer sur la réalité des phénomènes paranormaux, mais veut retracer l'histoire des disciplines, des groupes et des individus qui les ont associés à des projets politiques. L'occultisme, l'ésotérisme et le complotisme sont des phénomènes sociaux qui existent bel et bien, à nous de les analyser pour ce qu'ils sont. Si chacun de ses numéros traitera spécifiquement d'un sujet particulier, leur ensemble constituera, à terme, une somme encyclopédique que nous espérons la plus exhaustive.
Pour mener à bien notre projet, nous avons fait le choix d'intégrer dans nos pages les contributions d'auteurs spécialistes des thématiques abordées, qu'ils soient observateurs et commentateurs extérieurs ou bien acteurs, ou anciens acteurs, des pratiques explorées. Ésotérisme et occultisme ont en effet accueilli dans leur sein des individus aux trajectoires personnelles diverses et aux idéologies balayant l'ensemble du spectre politique. Il nous paraît donc nécessaire, pour accéder à une meilleure compréhension du phénomène, de leur donner la parole, et cela quels que soit par ailleurs leurs engagements militants. Ainsi, et comme les sujets abordés dans Cosmos traiteront de diverses formes de radicalités, de droite comme de gauche, nous ne nous interdisons pas de faire intervenir dans nos pages des auteurs incarnant, justement, ces radicalités. Néanmoins, pour garantir le sérieux de l'ensemble des contributions, celles-ci seront systématiquement soumises à l'avis du Comité scientifique de notre revue.